Si Versailles m'était conté...
Publié le 9 Septembre 2006
Merveille que le net... Errances nocturnes et je tombe sur ce texte de Dumas (père), racontant de façon romancée la fuite à Varennes, et le retour de Louis XVI et Marie Antoinette vers Paris, en passant par Meaux. Morceau choisi :
[...] Vers quatre heures de l'après-midi, l'on arriva à Meaux, et l'on s'arrêta devant le palais épiscopal, qu'avait habité Bossuet, et dans lequel, quatre- vingt-sept ans auparavant, l'auteur de Discours sur l'histoire universelle était mort.
Le palais était habité par un évêque constitutionnel et assermenté. On s'en aperçut plus tard à la façon dont il reçut la famille royale.
Mais, pour le moment, la reine ne fut frappée que de l'aspect sombre du bâtiment dans lequel elle allait entrer. Nulle part, palais princier ou religieux ne s'élevait plus digne, par sa mélancolie, d'abriter la suprême infortune qui venait lui demander asile pour une nuit. Ce n'est plus comme à Versailles, où la grandeur est magnifique ; ici la grandeur est simple : une large pente pavée de briques conduit aux appartements, et les appartements donnent sur un jardin dont les remparts mêmes de la ville font le soutènement : ce jardin est dominé par la tour de l'église ; tour entièrement couverte de lierre, et conduit, par une allée bordée de houx, au cabinet d'où l'éloquent évêque de Meaux jetait de temps en temps un de ces cris sinistres qui présagent la chute des monarchies.
La reine promena son regard sur cette lugubre bâtisse, et, la trouvant selon l'état de son esprit, elle porta les yeux autour d'elle, cherchant un bras où appuyer le sien pour visiter le palais.
Barnave seul était là.
La reine sourit.
- Donnez-moi le bras, monsieur, dit-elle, et ayez la bonté de me servir de guide dans ce vieux palais ; je n'oserais m'y aventurer seule, j'aurais peur d'y entendre retentir cette grande voix qui, un jour, fit tressaillir la chrétienté à ce cri : « Madame se meurt ! Madame est morte ! »
Barnave s'approcha rapidement et offrit son bras à la reine avec un empressement mêlé de respect.
Mais la reine jeta un dernier regard autour d'elle ; l'absence obstinée de Charny l'inquiétait.
Barnave, qui voyait tout, remarqua ce regard.
- La reine désire quelque chose ? demanda-t-il.
- Oui. Je désirerais savoir où est le roi, répondit Marie-Antoinette.
- Il a fait l'honneur à M. Pétion de le recevoir, dit Barnave, et il cause avec lui.
La reine parut satisfaite.
Puis, comme si elle eût eu besoin de s'arracher à elle-même, et de sortir de sa propre pensée :
- Venez, dit-elle.
Et elle entraîna Barnave à travers les appartements du palais épiscopal.
On eut dit qu'elle fuyait, suivant l'ombre flottante dessinée par son esprit, et ne regardant ni devant ni derrière elle.
Dans la chambre à coucher du grand prédicateur, elle s'arrêta enfin, presque essoufflée.
Le hasard fit qu'elle se trouva en face d'un portrait de femme.
Elle leva machinalement les yeux, et, lisant sur le cadre ces mots : Madame Henriette, elle tressaillit. [...]
Le texte en intégralité, à cette adresse : http://www.dumaspere.com/pages/biblio/chapitre.php?lid=r15&cid=104