Projet urbain : des enjeux de société

Publié le 10 Mai 2008

Voici un texte, que j'ai trouvé dernièrement sur un blog : ENTROPIE GENERALE. Il s'agit d'un extrait – un paragraphe paraissant dans le deuxième article (de 3), titrés "URBANISME ET UTOPIE". Alors, ce n'est pas forcément l'extrait le plus significatif de l'ensemble de ces articles, consacrés à un sujet très intéressant, bien que difficile (parce que d'un niveau assez soutenu) – ces articles  sont en fait la transcription d'un mémoire d'un travail de fin d'étude d'un étudiant en architecture (l'auteur du blog) – mais que je vous invite à lire vivement.

J'ai choisi cet extrait, parce qu'il me semblait une introduction intéressante à cette série d'article sur « la ville inhospitalière » – qui tarde vraiment à venir (et je m'en excuse auprès des lecteurs), mais que je devrais publier prochainement – et les idées qui y seront abordées, en montrant notamment que le projet urbain (soit le « faire la ville »), porte en lui un "projet" de société. Qu'intervenir sur la ville n'est pas le moins du monde anodin, qu'il y a des intentions derrières – dites ou cachées – mais qui souvent nous (habitants de la ville) échappent, ou nous dépassent.

Pour montrer ces enjeux, l'exemple d'Haussmann et Cerda, me semble pertinent. Tous deux dans des orientations différentes ont fabriqué la ville (pour l'un Paris, pour l'autre Barcelone) à un moment (le même) où la ville explose : on est alors en plein XIXe siècle, moment de la Révolution Industrielle et d’autres révolutions (dans les systèmes politiques, et dans les systèmes de pensées, entre autres). Des exemples parlants, parce qu’encore vivants, parce que faisant toujours référence (en matière d’architecture, et en tant que modèle pour fabriquer la ville). Et à cause de l'époque (la notre) qui, pour des raisons politiques, économiques et sociétales, trouve un écho avec cette période de l’histoire qu’est le XIXe siècle, et les problématiques de la villes qui se sont posées à ce moment là.



Retrouvez cette série d'article sur le blog ENTROPIE GENERALE : http://entropie.canalblog.com/ 


Et les articles URBANISME ET UTOPIE, aux adresses suivantes.


ou l'intégralité du texte à télécharger au format PDF, ici : URBANISMEetUTOPIE.pdf



Bonne lecture ;-)


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"Faire la ville : Haussmann et Cerda / Au moment où Ildefonso Cerda publie sa "Teoria general de l'urbanizacion", les grands travaux de Paris d'Haussmann sont bien avancés et correspondent eux aussi à une approche rationnelle et fonctionnelle de la ville. Mais ils sont le fait exclusif d'un pouvoir politique et administratif. Aussi rationnelle que se veut cette intervention, elle se double de choix sociaux plus ou moins occultés (6). Ce n'est pas encore de l'urbanisme en tant que tel, mais déjà une approche pragmatique et globale de la ville est mise en œuvre. Haussmann ne fait pas la théorie de la ville, il y intervient directement, volontairement, et met en place les outils administratifs et juridiques nécessaires à la réalisation des aspirations de la bourgeoisie.


Cerda, par contre, affirme un projet social porté par un urbanisme dont l'objectif est définit comme devant permettre aux habitants de "se rencontrer, s'aider, se défendre et se rendre tous ces services qui concourent à l'accroissement du bien-être et de la prospérité commune" (7). L'idée qu'il a de "l'urbanizacion" englobe le devenir humain, il le pense comme une des sciences cruciales de son perfectionnement, le but qu'il poursuit étant ni plus ni moins qu' "hautement humanitaire" (8). C'est pour lui une science qui se fonde sur une vérité de l'humain, vérité que Cerdà va chercher au moment où les hommes commencent à former des communautés et à construire leur milieu. Il se place en un lieu d'origine jouant le rôle de mythe fondateur. À partir de là, tout le reste en découle, la théorie et la pratique de l'urbanisation qu'il élabore se déploient de ce point (9).


Haussmann achève la ville bourgeoise. S'il organise l'espace de la distribution et de la consommation, il néglige celui de la production : "L'organisation spatiale de l'industrie et de l'habitat ouvrier est laissée aux stratégies patronales, cités ouvrières ou cités minières, plus ou moins combinées avec la philanthropie"(10). La restructuration de la ville valorise l'immobilier et provoque une augmentation des loyers : le centre devient inaccessible aux ouvriers qui se massent alors dans les arrondissements périphériques peu ou pas touchés par les travaux, pendant que la bourgeoisie se déploie et prospère dans un cadre conçu pour elle. Il s'opère une ségrégation que la ville n'avait pas connue jusqu'alors (11). L'urbanisme d'Haussmann ne s'embarrasse pas d'une critique sociale, il voit dans la ville un objet technique dont il convient d'améliorer les performances (12). Bien évidemment, ces performances ne sont pas neutres et sont assujetties aux objectifs économiques de la classe dominante. Haussmann n'en fait pas mystère, il affirme son appartenance de classe et en défend les intérêts.


L'essentiel de l'appareil conceptuel, institutionnel, législatif, et technique ayant permis à Haussmann de mettre en œuvre le projet de Napoléon III est mis en place dès la restauration et la monarchie de Juillet(13). Haussmann n'invente pas vraiment "l'haussmannisation", mais il la réalise. Il met en œuvre deux principes cruciaux, l'hygiène et la circulation, principes présents dans la quasi-totalité des réflexions de la première moitié du XIXe siècle portant sur la ville, de quelques bords qu'elles émanent, de l'anti-socialiste et anti-utopiste Adolphe-Jérôme Blanqui (frère du révolutionnaire Louis-Auguste Blanqui), au fouriériste Victor Considérant(14).



Cela dit, que ce soit Cerda ou Haussmann, l'urbanisme est pour eux solidaire d'enjeux sociaux – mais dans des perspectives opposées. S'ils sont conscients que la ville est l'espace privilégié où s'affronte et se résout la plupart des conflits qui traversent et secouent la société, néanmoins leurs objectifs divergent : Cerda tente de réaliser la ville égalitaire, Haussmann vise à asseoir et à renforcer la domination de la bourgeoisie."



NOTES :
6 Marcel Roncayolo in "Histoire de la France urbaine vol.4 : La ville de l'âge industrielle", éd. Le Seuil, 1983, p.74.
7 Ildefonso Cerda, opus cité, p.182.
8 Idem, p.72.
9 Françoise Choay, "La règle et le modèle, sur la théorie de l'architecture et de l'urbanisme", éd. Du Seuil, 1980-1996, p.310 et suivantes.
10 Marcel Roncayolo in "Histoire de la France urbaine vol.4 : La ville de l'âge industrielle", éd. Le Seuil, 1983, p.75.
11 Jean-Pierre Babelon, article "Paris", in "Encyclopédia Universalis", 1996, p.518.
12 Françoise Choay, "Pensée sur la ville, arts de la ville", in "Histoire de la France urbaine, vol. 4 : La ville industrielle", sous la direction de Maurice Agulhon, éd. Seuil, 1983, p. 168.
p.6.
13 "En fait, toutes les solutions pour remédier aux problèmes de l'encombrement du centre de Paris et de son déplacement vers le nord-ouest ont été envisagées sous la monarchie de Juillet. Louis-Napoléon et Haussmann ont trouvé quantité de plans et de projets à leur arrivée à Paris… mais peut-être fallait-il venir d'ailleurs pour trancher et passer de la théorie à l'action". Pierre Pinon, "Atlas du Paris haussmannien, la ville en héritage du Second Empire à nos jours", éd. Parigramme, 2002, p.6.
14 Michel Ragon, "Histoire de l'architecture et de l'urbanisme modernes 1 : Idéologies et pionniers, 1800-1910", éd. Points-Casterman, 1986, p.35 et suivantes.


Rédigé par F.B.

Publié dans #710 Urbanisme - Paysage

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