"Ici l'on dort !" (4)
Publié le 7 Août 2007
Vivre en grande Banlieue (attention : ceci n’a pas la prétention d’être une étude sociologique des moeurs banlieusardes)
« Il n’y a rien à Meaux parce qu’on ne vit pas. On ne vit pas à Meaux parce qu’il n’y a rien. »
La théorie de l’œuf et de la poule, évoquée notamment par Benjamin (commentateur de ce blog). Je ne serais pour ma part pas aussi fataliste que lui. Parce que je pense que l’on peut décider à un moment, d’agir sur l’un et/ou sur l’autre. Lequel et comment ? C’est une question de choix politiques !
En parlant du commerce, dans l’article précédent, je mettais en avant le « il n’y a rien à Meaux ». Du moins l’une de ses manifestations et exemple sans doute le plus parlant. Je pourrais aussi évoquer les équipements publics, les administrations, les transports, les activités de loisirs, les espaces publics, le système associatif, la vie politique locale, le patrimoine… le sujet est vaste. Complexe. Mais en tout état de cause, quand on cherche pourquoi « il n’y a rien » on analyse plutôt ça en partant de l’intérieur. C‘est à dire de la ville même (la ville comme objet constuit). Je regarde Meaux, et je regarde ce qui manque. Le sujet très "matérialiste" des commerces en centre ville (parce que ce sont des objets bâtis et en un lieu précis) convient bien a soutenir ce discours.
Quand il s’agit de comprendre pourquoi « on ne vit pas », j’aurai tendance à prendre un point de vue extérieur. Regarder plus large, hors la ville. Et la réponse, assez évidente au finale, là encore évoquée par les commentateurs de ce blog : Meaux est une ville de banlieue.
Constat géographique autant que sociologique, je vous propose de revenir un instant sur cet état de la ville.
Une situation particulière.
Meaux est à la limite de l’aire urbaine de Paris. Ce qui en fait une entité étrange. Une ville ni-ni : ni tout à fait parisienne ni tout à fait provinciale, ni tout à fait bourgade ni tout à fait cité, ni tout à fait campagnarde ni tout à fait banlieusarde… Cet état pèse aussi certainement beaucoup dans la dichotomie (division, dédoublement, dualité... comme vous préférez) que subit la ville dans sa forme et sa structure sociale, aujourd’hui.
On dit de Meaux (surtout dans les bouquins d’histoire) qu’elle est la première ville de province (premiere géographiquement parlant, et à l’Est de Paris). Ce n’est pas tout à fait vrai, si on considère ce que je viens d’énoncer précédemment, et parce que Meaux est trop proche de Paris pour échapper à son attraction et vivre sa vie de ville de province.
Paris qui concentre tout à l’intérieur de ses limites. Si « tout se fait à Paris » quand on compare Paris au reste de la France, c’est tout aussi vrai à moins de 50 kilomètres de la capitale. Passé le périph’ il n’y a plus rien. Là encore ce n’est pas tout à fait vrai, mais qu’Issy-les-Moulineaux ou la Courneuve ou Montreuil ou Puteaux organisent une manifestation, fassent venir des exposants, et ce n’est pas comme si c’était à Paris que ça se passait. Et on n’en parle pas de la même façon. Et encore ! Je site des villes qui sont juste après le périph… alors pensez, Meaux !
Meaux c’est comme un satellite captif et passif de l’astre Paris (un astre qui éclipserait ou boufferait tout ce qui est proche de lui, tel un trou noir). Elle est, mais végète, sans vie, comme la lune autour de la Terre (en beaucoup moins brillante). Comme d’autres villes dans ce périmètre des 50km autour de Paris. Plus loin, entre 75-100 km, une sorte de désert, un no man’s land composé de champs, de forêts, de parcs naturels, et au-delà duquel on entre en Province.
Au passage, si cette situation semble desservir la ville, c’est cette situation aussi qui a fait souvent l’histoire de Meaux : le massacre des Jacques, les guerres de religions, la bataille de la Marne, le « grenier à blé » de Paris, le foyer protestant et réformateur, Bossuet, le passage de grands personnages de l'histoire de France (Catherine de Médicis, Henri IV, Napoléon, De Gaulle...), Beauval (!)… c’est à cause de Paris.
Meaux, si loin et si proche à la fois de la capitale, comme un avant poste vers l’Est. Comme la dernière étape avant d’entrer dans Paris. Meaux est la ville au ban, la ville banban, la ville bancale, la ville de banlieue type quoi !
Mais être en banlieue ce n’est pas seulement être situé géographiquement. C’est aussi et peut-être même avant tout une façon d’être et de vivre, un état d'âme.
Métro-boulot-Dodo, etc.
La vie du banlieusard se résumerait à ces trois mots ? Le fait est que Paris, telle une bouche d’ogresse, avale et recrache au rythme des arrivées des transiliens et des sorties de bureaux, des gens, ces fameux banlieusards, et par centaines de milliers. Un peu comme la Charybde de la mythologie grecque. Le banlieusard après sa journée à Paris (tous les banlieusards ne travaillent pas à Paris), est « rendu » lessivé, fatigué, épuisé par des heures de transports en commun ou d’embouteillage. Arrivé chez lui, plus qu’une envie : dormir. Dormir jusqu’au lendemain ou il faudra à nouveau affronter la ville monstre.
Mais, je me répète, tous les banlieusards ne travaillent pas à Paris... et tous les banlieusards ne travaillent pas !
Ceux qui travaillent sur la ville, aussi dur soit le travail (longues journées, travail pénible, horaires décalés), partagent autant l’envie que les "parisiens de travail", de ne plus rien faire quand ils rentrent chez eux. Tout juste assez d’énergie encore à déployer pour jouer avec le petit dernier, se faire à manger, se légumiser devant la télé, et ne surtout plus rien penser (surtout pas aux soucis, surtout pas aux dernières catastrophes que se complait à débiter le journal de 20h à la télé). Difficile alors d’imaginer ressortir aller prendre un verre ou se balader une demi heure même si il fait beau (même si il faut sortir le chien). Et puis qu’elle idée de voir encore cette ville dont on ne sors pas ?
Ceux qui ne travaillent pas, plutôt ceux qu’on compte parmi les inactifs, qui sont les retraités, les jeunes (écoliers, collégiens lycéens), les femmes au foyer… c’est autre chose. Entre promenade au square, sortie d’école, ou le marché, se sont eux qui vivent la ville. La vivent le plus en tout cas. Mais quelle incidence ont-ils sur la ville ? Comment y sont-ils associés ? Comment participent-ils à sa vie ? Meaux vit-elle aux intercours des lycées ? Qu’est-ce qu’échangent les anciens à la caisse de la supérette entre eux? Sont-ils le lien avec les autres (les autres sous entendus les banlieusards qui travaillent)? Jeunes et vieux, sont-ils l’âme de Meaux ?
Mmm… Et si c’était une question de mentalité aussi. Les anglais, les allemands, les espagnols, je l’évoquais dans la note précédente n’ont pas la même attitude. Ils vivent dehors (peuples du sud ou du nord). La façon de vivre française n’est pas celle là. La façon de vivre banlieusarde l’est encore moins.
Question de mentalité encore ? Et si le banlieusard n’était qu’un égoïste dont le seul désir serait de fuir ses semblables, ne plus les entendre, ne plus les voir, une fois rejoint son petit pavillon de banlieue caché derrière une haute haie de thuyas. « Vous pouvez toujours essayer de m’en sortir ! », l’entendrait-on s’exclamer… « Je ne bougerais pas ! » Et les lions en plâtre montent la garde de chaque côté du portail.
« Il n’y a rien à Meaux parce qu’on ne vit pas. On ne vit pas à Meaux parce qu’il n’y a rien. » Mais est-ce qu’on ne vit pas déjà ?