"Ici l'on dort !" (1)

Publié le 1 Août 2007

Premier article d'une série à venir, sur l'idée que j'aimerais discuter, que Meaux "est" une ville dortoire. Un état subit, et peut-être voulu ? Un constat en tout cas. Pas amer, pas fataliste, pas déprimé. Mais à force de l'entendre - "à Meaux il n'y a rien", "à Meaux il n'y a pas de commerces", " Pas de cafés ouverts apres 20h", "à Meaux on s'ennuie"... - il me semblait important de le dire. Or je ne l'avais pas encore exprimé comme ça, ici, sur Meaux (le blog).

Premier article et il me semblait intéressant de commencer par un texte qui n'est mon oeuvre, mais celle d'un "lyonnais en exile à Meaux". Un texte teinté de mal du pays, c'est certain, mais peignant un portrait juste, vrai, de Meaux. Ce texte très bien écrit (auquel j'emprunte aussi le titre de cet article), je vous propose de le découvrir à la suite, ou sur le blog de son auteur :
 
http://cuchlainn.hautetfort.com/  

Bonne lecture ;-)


" Meaux, la grande banlieue

Lorsque j’ai emménagé à Meaux, il y a de cela trois ans – déjà ! – je racontais partout, et je croyais, que ce n’était pas la banlieue parisienne. Il y avait là un centre historique centré sur une cathédrale, des remparts anciens, un site naturel dessiné par la Marne, et le tissu urbain n’était pas en continuité avec Paris. C’est vrai. Autour de Meaux, s’étendent des champs, et quelques bois. D’ailleurs, Meaux avait ses propres banlieues, en l’espèce les quartiers chauds de Beauval et la Pierre Collinet. Meaux, ville à part entière, en Champagne historique. 

C’était presque vrai, c’est-à-dire que c’était tout à fait faux.
 

Telles sont les pensées qui ont rythmé une brève marche au parc dit du Pâtis, s’étendant le long de la Marne au sud de ladite ville-de-banlieue.

Un parc agréable ma foi. Je l’aborde par un petit parking et longe des jardins familiaux. Je préférais « ouvriers ». Cela fleurait bon le Front populaire et un peu moins l’urbanisme politiquement correct. Observant un monsieur de couleur qui soigne une belle haie de roses trémières, je songe à quelque politicard se félicitant de cette mixité socio-ethnique. Pour la mixité sociale, à Meaux, c’est un peu raté, il manque un peu les étages du haut.

Je dépasse les jardins et aborde une vaste prairie piquée d’arbrisseaux ; une vraie, haute, fleurie et un peu sèche, pas un gazon à la Guy Roux, non. Perspectives : saules et peupliers qui bordent les étangs, bois des pentes de la vallée de la Marne. Campagnard. Le doug-doug d’une péniche, et le bateau se dessine, trahissant la rivière jusque-là dissimulée par les rideaux d’arbres. Quelques oiseaux accrochent mon oreille d’ornithologue : Tourterelle des bois, Loriot. Sur l’un des bassins, artistement dessiné en zigzag, un rocher accueille une Sterne pierregarin. J’observe la silhouette élancée, le fin capuchon noir, le bec de corail. L’oiseau pose. Une photo soigneusement cadrée donnerait à la scène un air de printemps arctique. Je profite de l’instant. Le chemin se poursuit, le long d’un champ pas encore déchaumé qui accueille quelques dizaines de Fringilles. Il est bordé de haies, denses, parfois épineuses, et encore de fleurs, et de buissons. De bons contribuables y voient un parc que les moyens manquent pour entretenir, qui ne sera fini que lorsque tout cela, qui fait bien sale, sera ôté, remplacé par d’immenses pelouses, et des tables de ciment. Pas un n’imaginerait que la démarche de ne rien tondre pût être volontaire. Le Français a encore à apprendre ès nature.

Je marche. J’ai dix kilos à perdre. Je marche vite et je pense. Je suis, donc, enfin, je suis surtout en nage, sous le petit sac à dos qui contient jumelles et salvatrice bouteille d’eau. Un gamin aussi potelé que moi trottine, trébuche, sous les encouragements de son directeur sportif de père : « Allez, tu vas les perdre tes kilos en trop ! » Moi, j’avance, j’entends des oiseaux et je n’ai plus envie de les noter. Juste profiter, tant pis pour la donnée, avec un rien de culpabilité tout de même. Mais ils me rappellent trop le travail pour faire rêver. Ces pouillots sentent le Conseil Général Quatre Vingt Treize. Ces pigeons n’évoquent que l’Agence régionale des Espaces Verts. Ce Loriot pue le rapport à dix bornes. A telle enseigne que je médis intérieurement de sa virtuosité de chanteur. Alors, il me lance une longe phrase superbement sifflée et je me sens un peu bête.

Je pense. Je pense que la même demi-heure de marche, depuis le bercail lyonnais, m’aurait amené place Bellecour. Je n’aurais alors qu’à vivre ma ville autour de moi. Il n’y a rien à vivre ici. Faisant demi-tour dans le parc à la bucolicité limitée, je remonte lentement vers les quartiers habités de Meaux en m’imaginant sur les quais du Rhône. C’est désagréable de se sentir plus chez soi dans une rue sise à 500 kilomètres de là que dans sa propre maison, qui est dans ce nulle-part. Malgré de louables efforts dont ce parc même est un exemple, Meaux ne sera plus jamais une ville, rien qu’une banlieue. Dans ce fameux centre, il n’y a rien. Deux librairies minuscules, quelques boutiques de fringues, et les inévitables grecs-chinois. Même les pâtisseries sont rares... La cathédrale est grise et vide. Deux rues commerçantes, et c’est tout. C’est à peine mieux que les vraies banlieues, où le centre ne se trahit que par des bâtiments un peu plus vieillots, et un ou deux cafés au coin des rues saturées d’agences bancaires et immobilières. Rien à faire, rien à vivre. Et Paris est à quarante kilomètres, quarante minutes de train de banlieue dont le rythme est d’un toutes les... quarante minutes. Onze euros quarante l’aller-retour...

Alors on vit en quarantaine et ce n’est pas drôle.

« Qu’est-ce que tu imagines trouver à Lyon qu’il n’y ait pas à Meaux ? » a osé me lâcher un collègue peu en verve. Oh, rien... si ce n’est... tout.

Me revoici à hauteur de la porte du parc. Des quinquas ordinaires en short soignent leur jardinet. Un vaste parking se déploie au pied de cubes glauques, une « Maison de quartier » à l’enseigne très pompidolienne suinte sa décrépitude. Je poursuis par une rue de vieux pavillons banals. On rase et l’on construit de beaux immeubles pour de bons contribuables de classe moyenne que l’on espère attirer dans ce piège.

J'ai quitté un petit bout de nature assez correctement refaite, un erstaz de rural, et la banlieue me reprend. Une rue pavillonnaire peut avoir un charme de banalité lorsqu’elle se trouve en Charente ou dans l’Allier. Ici, elle n’est nulle part et sa laideur me saute au visage. Un jardin en friche, les bureaux scellés d’une petite entreprise fermée... La cité administrative. Oh, il y a tout, comme dans une ville de jeu d’enfant, tout est sagement assemblé comme un Lego. Rien ne manque sauf l’âme... Ici l’on dort."

(
http://cuchlainn.hautetfort.com/archive/2007/07/31/meaux-la-grande-banlieue.html)
 

Rédigé par F.B.

Publié dans #100 Questions de Société

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
C
Je ne vais pas embrayer sur Lyon car ce n'est pas l'objet du blog. Je me bornerai à dire qu'elle ne se donne pas comme ça, à l'avenant. C'est ainsi. Pourtant, ma famille est la preuve que la Lyonnitude s'adopte.Bref.J'ai surtout relevé, s'agissant des commentaires, que des personnes peuvent avoir de Meaux une vision assez similaire à la mienne - raison pour laquelle l'administrateur du site est venu me solliciter pour la publier ici - mais, dès que cela vient d'une personne "extérieure", tout à coup on regimbe, on se cabre, quitte à se contredire : voilà qu'il faut défendre "sa" ville contre le critiqueur étranger. Je vous rassure, je sais parfaitement que je réagirais de la même façon avec Lyon ! Comme Cyrano, les critiques sur ma ville, "je me les sers moi-même avec assez de verve, mais je ne permets pas qu'un autre me les serve". Selon mon humeur, cela m'amuse ou m'agace.Meaux m'apparaît surtout comme un vexant gâchis, car il existe un potentiel que n'a certes pas une Villeparisis, par exemple. Pour moi, c'est aussi le symbole de mon échec définitif à me sentir un tant soit peu bien en IDF. Pourtant je pense avoir saisi le charme discret des lointains villages d'entre Ourcq et Morin, de l'Orxois, des marches de la Marne ou de l'Aisne, des plateaux d'Etrepilly, Chambry... trouvé quelque beauté dans ce fameux "no mans land" dont je pense qu'il importe de le préserver rural. J'ai fait de mon mieux pour aimer ce petit bout d'IDF. Impossible pour moi, hélas.
Répondre
B
Cuchlainn, j'ai bien dit "sans agressivité aucune" et surtout pas façon "si t'aimes pas t'as qu'à te casser". Je n'ai transmis sur les Lyonnais que ce qu'un ami m'en a dit en mettant bien ma phrase sous forme de citation, ce qui ne lui donne pas un caractère d'oracle. Lui, il l'a ressenti comme cela...Je crois qu'on a davantage de jambes que de "racines", et si on se sent mal pour des raisons objectives ou subjectives, si on en a la possibilité (pas donné hélas à tout le monde) il faut partir. Que je règle mes problèmes de couverture sociale, et je suis au Brésil dans la semaine qui suit. Mais comme ça ne peut pas se faire, tant qu'on y est je me trouve assez bien à Meaux... tout en comprenant que cet avis ne soit pas partagé. J'ai acquis la sagesse suffisante pour m'accomoder du fait que mes revenus me permettent de vivre correctement ici alors que je devrais tout compter à Paris - à supposer qu'on acceptât de m'y louer un trou à ratsVous savez, j'ai un ami dont le père est martiniquais, qui est né en Guyane et est retourné dans l'île aux fleurs en tout et pour tout trois fois pour de courts séjours, et quand on parle de lui à Cayenne, on dit: "César""? ah oui, le martiniquais! Et la Guyane est réputée terre d'intégration...Connaissez vous une ville plus "banlieue sans âme" que Villeparisis? Eh bien nous étions légions il y a pas mal d'années à nous y sentir bien et pas pour un empire nous n'aurions quitté cette commune! Mystérieuse alchimie qui ne s'explique pas...
Répondre
C
Cher Benjamin B,Tout d'abord, vous vous trompez tout à fait sur les villes que j'ai citées. Rochefort se trouve à 25 km de la très animée La Rochelle et en souffre. De l'avis unanime Rochefort est une ville morte; anormalement morte (y compris économiquement d'ailleurs) même compte tenu de cette présence. Mais Rochefort est deux fois plus petite que Meaux. Par contre, Luçon, malgré ses 10 000 habitants ne présente pas le même aspect.Enfin, et pour la deuxième fois, je ne compare pas Meaux et Lyon ! Précisément, j'ai habité assez de villes de tailles variables pour pouvoir imaginer ce qu'on peut attendre en fonction de la taille. Il est évident que Meaux souffre de l'ombre de Paris et que tout y sera difficile. Mais Paris est tout de même à une demi-heure de train et je suis convaincu qu'au prix de certains aménagements de l'espace public à la mesure de la ville, une certaine vie pourrait  exister bien davantage sur Meaux même. Je pense à un autre aménagement de la partie urbaine des berges par exemple.Quant à partir, là encore je vais le répéter, cela va être fait et ce serait fait depuis longtemps si je le pouvais. Mais je crois savoir qu'en IDF, nous sommes nombreux à ne pas être très satisfaits de notre lieu de résidence.Ma famille n'est pas lyonnaise depuis 545 générations et n'a éprouvé aucune difficulté à se faire des relations à son arrivée. Aussi pourrais-je à mon tour m'agacer de certains clichés. Mais ce serait hors sujet.Il est juste dommage qu'un avis sur une ville que j'habite quand même depuis trois ans, pas trois semaines, se trouve en quelque sorte disqualifié parce que j'ai eu le malheur de m'avouer Lyonnais. La réponse "t'as qu'à te casser" est si facile, il est vrai. Et personne ne semble vouloir tenir compte des nombreuses rectifications quant au contexte dans lequel j'ai écrit pour MON propre blog, dans un contexte de MALADIE qui n'est pas seulement un mal du pays, avec une partialité ASSUMEE...C'est amusant; en fait il suffit que les reproches viennent d'une catégorie de personnes qu'on n'apprécie pas pour qu'aussitôt, on ait envie de les nier - alors qu'on les faisait soi-même une page plus tôt ! ;-) Je connais ce principe du Net. Je pourrais en conclure qu'il faut être Meldois depuis 545 générations pour avoir le droit d'émettre un avis à son sujet ! :D Mais je n'en ferai rien et je me bornerai à lui souhaiter d'évoluer dans le bon sens, en persistant à penser que c'est possible.D'où ma déception de voir que ce n'est pas encore le cas, et mes avis de "Lyonnais aigri"... ;-)Bien cordialementCuchlainn.
Répondre
F
Les clichés ont la vie dure en effet... Comme le non natif sera toujours considéré comme "l'étranger" (Ah ! le parisien en Province !...). Et comme personne n'est prophète en son pays.J'abonde totalement dans le sens de Cuchlainn (au fait, ce pseudo, c'est de la mythologie celtique ça non ? étrange pour un lyonnais ^ ^ ). Pour moi il a très bien compris la ville. Et son regard intérieur et extérieur, rend son ressenti très objectif. Ni complaisant ni méprisant, sa vision de la ville n'est pas du tout "noire". Et en tout cas certainement pas simpliste ou simplificatrice (?).  ____________________@ Benjamin : J'ai l'impression que par contre votre vision de la ville s'appuie aussi sur sa neutralité. Son manque d'âme. Ce qui en fait un lieu d'attente ou de transition, comme un hall de gare, un hotel au milieu d'une zone industrielle, un purgatoire... dans l'attente d'un meilleur, et a l'abris d'un pire. Es-ce que je me trompe ? 
B
Une "opinion" d'Elton John, qui explique en partie pouquoi les gens sortent moins: (Libé)Connaissez-vous la dernière d'Elton John? Il propose de fermer l'accès à Internet pendant cinq ans, rien que ça. «Ce serait une expérience formidable (...) pour voir quelle sorte d'art les gens produiront pendant ce laps de temps». Oui parce que pour lui, le web n'est rien d'autre qu' «un destructeur de bonne musique». Pourquoi ? Voici le raisonnement qu'il tient dans un entretien accordé au tabloïd The Sun: «Internet empêche les gens de sortir et d’être ensemble. Au lieu de cela, ils sont assis chez eux à faire leurs propres chansons, ce qui donne parfois quelque chose, mais le plus souvent, cela ne correspond pas à une vision artistique à long-terme». A 60 ans, Elton John se présente comme un technophobe convaincu. « Il y a trop de technologies dans notre vie » regrette t'il. Et de se vanter: «Je n'ai ni téléphone portable, ni iPod, ni rien de tout cela.Tout ce que je fais, c'est écrire sur mon piano !»___________________ Rassurez vous mon cher Fabien, la dépression ne guette pas et ce n'est pas parce que je n'ai pas envie de sortir que je me sens mourant. On peut bien mieux s'évader en plongeant dans un bon livre ou en visionnant un DVD (je revois ma Comédie italienne en ce moment et Ettore Scola, ça vaut tous les "bars branchés, croyez moi!)Et s'il m'arrive de sortir, j'avoue que... je vais à Paris. Eh oui, Meaux fera ce qu'elle voudra elle ne pourra jamais rivaliser avec la ville Lumière pour les loisirs (et pas les "Halles" que je hais, justement.) ou que je sors dans la journée, sur mon vélo. C'est mon droit de ne pas être un oiseau de nuit, non?^^Chacun a sa ville d'amour et sa ville "haïssable"... je connais un collègue très sociable, qui avait demandé une mutation pour Lyon parce que, passionné de ski, il voulait se rapprocher des stations et qui malgré ses efforts pour intégrer le secteur associatif, syndical et politique est revenu l'année d'après en RP, tant il se sentait ignoré à Lyon où, selon ses dire, "si t'es pas du coin depuis 545 générations tu es transparent, tu n'existes pas" Et de toutes les villes citées par l'honorable contradicteur ci-dessus, la seule de taille comparable à meaux est Rochefort, sans grande ville "concurrente" à côté et lieu de villégiature en raison du bord de mer. Comparons ce qui l'est... Cela dit, tout ce que nous pouvons lui dire sans la moindre agressivité aucune, est que s'il se sent mal ici et mieux ailleurs, le mieux est de faire en sorte, si c'est possible dans son contexte familial et professionnel, de retourner vers cet ailleurs! Je ne hais pas ni n'adore pas Meaux: au final c'est encore dans ce genre de ville que je me sens le moins mal en France, et si je devais partir ce serait pour quitter carrément ce pays et me poser au Brésil (puisque je n'ai pas les moyens de vivre à paris, sauf à me priver de tout). Et je crois partir en vacances plus que la moyenne des gens, et pour des destinations fort exotiques... Mais ce n'est pas "sortir en ville ça..." Quand je pars faire un périple en Amazonie, je ne remplis pas les lieux "branchés"^^ de Meaux! _______________________Votre suggestion de "faire manger les gens"? Pas bête mais... Vous omettez un point de détail: ce que ça coûte. Il me semble que Meaux est une ville très "duale" avec une bourgeoisie assez aisée qui peut s'offrir à peu près ce qu'elle veut et dont les membres ont de ce fait certainement une résidence secondaire, les moyens de se faire des escapades au Maroc ou ailleurs, ne serait-ce que pour un week end, voire d'aller sur paris (bis repetita) et une partie pour qui le loisir, c'est la pizza et le DVD loué... parce qu'on ne peut pas se payer davantage.Eh oui, l'artiche, la thune, le blé, l'oseille, le fric, ça compte. Une longue soirée dans un bar sympa à écouter de la musique en vidant une chope à la demi-heure, et c'est de suite du 25 euros par personne...
Répondre
M
Ce n'était pas méchant! en plus, sur beaucoup de points je suis d'accord avec vous. Mais cela peut s'améliorer:) et j'espère que vous resterez et apprécierez notre belle ville!
Répondre